Description de l’espèce
Le Vautour moine est le plus grand vautour européen [3]. Son plumage est entièrement marron foncé, s’éclaircissant avec l’âge [bg21]. D’aspect nu, la tête est couverte d’un léger duvet grisâtre, voire blanchâtre. La collerette, de la même couleur que le plumage, remonte souvent jusqu’au sommet du crâne. Les rémiges sont marron foncé. Les pattes sont gris bleuté. Les tarses sont en grande partie emplumés et très duveteux. Exceptée la taille, le dimorphisme sexuel est inexistant, le mâle n’atteignant en moyenne que 93% de la taille de la femelle. Les oiseaux immatures ont une livrée plus foncée et plus uniforme. Ils ne présentent pas le masque clair
qu’ont les adultes, et le duvet de la tête est noirâtre. La livrée adulte complète n’est acquise qu’à l’âge de cinq à six ans.
En vol, le Vautour moine se reconnaît à sa taille imposante (envergure de 250-290 cm), ses ailes très larges et profondément digitées. La queue est cunéiforme. La mue dure au moins quatre mois, essentiellement entre début juin et fin septembre. Les manifestations vocales décrivent des séries ascendantes assez gutturales ou encore des séries de cris répétés plus aigus, lors des accouplements, des altercations lors de l’accès à la nourriture ou en cas de nervosité et de stress. Au nid, il pousse de petits cris flûtés, assez inaudibles (JCR, CD1/pl.69).
Longueur totale du corps : 90-100 cm. Poids : mâle 7 000-11 000 g, femelle 7 500-12 500 g.
photo : Bruno Berthemy ©
Répartition géographique
L’aire de présence du Vautour moine s’étend de la péninsule ibérique à la Mongolie orientale [bg21]. En Europe, sa répartition est très fragmentée, car il a disparu de nombreuses régions au cours du siècle dernier. Il niche principalement en Espagne continentale et sur l’île de Majorque aux Baléares, ainsi qu’en Turquie. A eux seuls, ces deux pays représentent 94% de la population européenne. Il niche également dans les pays du Caucase, en Grèce, en France, en Ukraine, en Bulgarie et au Portugal [bg2]. Un seul individu semble subsister en Macédoine [TERRASSE, comm. pers.]. En France, il a été réintroduit dans les Grands Causses et les Préalpes provençales où il est sédentaire.
Biologie
Ecologie
En Europe, le Vautour moine est caractéristique des zones de collines et de moyenne montagne semi-boisée, à forte influence méditerranéenne. Il niche presque uniquement dans des forêts de pente. Les couples installés dans les Causses occupent des versants boisés des gorges calcaires de la Jonte et du Tarn, ainsi que les petits vallons adjacents. Ils occupent surtout le tiers supérieur de ces pentes, moyennement à fortement inclinées (parfois supérieures à 45°). L’essence utilisée pour construire le nid est le Pin sylvestre Pinus silvestris [bg66].
Dans le sud de l’Europe, il peut aussi nicher sur des Genévriers Juniperus sp., du Chêne liège Quercus suber, du Chêne vert Quercus ilex, voire du Pin noir Pinus nigra en Grèce continentale. Pour la recherche de nourriture, ce vautour prospecte de vastes étendues ouvertes à semi boisées. Dans la région des Causses, le domaine de prospection de la colonie est estimé à 500 000 ha.
Comportements
Les vautours moines adultes sont sédentaires et ne s’éloignent guère de leur domaine vital. Les immatures sont capables de déplacements erratiques jusqu’à ce qu’ils se fixent dans une colonie [bg66]. Les oiseaux reproducteurs sont présents sur leur site à longueur d’année et ce n’est qu’en décembre ou janvier qu’ils commencent à occuper leur nid de façon plus assidue, afin de préparer la nouvelle saison de reproduction. Il n’existe pas réellement de vol de parade comme cela est observé chez le Vautour fauve. En revanche, les altercations aériennes entre couples sont fréquentes en janvier et février. A la différence du Vautour fauve, le Vautour moi ne est territorial et forme des colonies lâches, éclatées, où les nids sont le plus souvent distants de quelques centaines de mètres [bg66]. Les sites de nidification sont aussi le lieu de quelques rassemblements nocturnes, pouvant accueillir une dizaine
d’oiseaux.
Reproduction et dynamique des populations
Les arbres utilisés pour la construction du nid doivent présenter un port tabulaire favorable à l’installation d’un volumineux tas de branches. Très imposante, l’aire peut atteindre deux mètres de diamètre et autant d’épaisseur. Elle est généralement construite entre 3 et 12 m de hauteur. En Espagne, des aires ont été observées à moins de deux mètres du sol dans des genévriers centenaires. Le même nid peut être réutilisée chaque année, mais des couples construisent une nouvelle aire tous les ans, à quelques mètres parfois du nid utilisé l’année précédente. La reproduction débute en automne avec la recherche d’un site favorable à la reproduction pour les nouveaux couples. L’unique oeuf est pondu de la mi-février à la fin de mars, parfois jusque dans la première décade d’avril.
L’incubation dure environ 53 jours, elle est menée aussi bien par la femelle que par le mâle. Le poussin est élevé à l’aire pendant environ 115 jours et quitte le nid en général dans le courant du mois d’août, voire durant la première quinzaine de septembre. Il reste dans les proches environs du nid jusqu’en octobre, voire fin novembre, où il peut être encore nourri par les adultes. Le cycle de reproduction s’étale ainsi sur dix mois [bg66]. Le succès de reproduction moyen enregistré dans les Grands Causses est de 0,46 (n = 84). Les échec s à la reproduction sont nombreux : l’espèce est très soumise aux aléas climatiques (pluie, neige) en période d’incubation et les chutes de nids sont fréquentes. La maturité sexuelle est atteinte à quatre à cinq ans [bg7], avec des cas de reproduction à trois, voire deux ans [LECUYER, comm. pers.]. La longévité va au-delà de 35 ans.
Régime alimentaire
A l’instar de tous les vautours européens, le Vautour moine est un nécrophage strict, jouant en cela un rôle d’équarisseur dans les écosystèmes agro-pastoraux de moyenne montagne. Les cadavres de moutons constituent une part essentielle dans son régime alimentaire. Toutefois, il est nettement moins dépendant de l’élevage des troupeaux d’ongulés domestiques que le Vautour fauve, et il s’adapte très bien aux ressources trophiques fournies par la faune sauvage. Son régime alimentaire comprend ainsi une part importante de petites proies mortes, comme les lagomorphes, les mustélidés, mais aussi les gros ongulés sauvages et accessoirement d’oiseaux, de reptiles et d’insectes. Le Vautour moine régurgite des pelotes de réjection très volumineuses, dont la plupart tapissent le fond des nids en période de reproduction. Il repère les cadavres à la vue, au cours de vols de prospection, souvent seul ou en couple, mais fréquemment avec des vautours fauves et percnoptères. Il prospecte surtout de vastes paysages ouverts à semi-ouverts, de steppes et d’alpages où la présence de troupeaux domestiques et de faune sauvage augmente les chances de trouver une carcasse accessible.
Etat des populations et tendances d’évolution des effectifs
Le statut de conservation du Vautour moine est défavorable. Il est considéré comme rare en Europe et « presque menacé » au niveau mondial [bg2]. L’effectif total ne dépasserait pas 1 800 à 1 900 couples, dont 1 400 en Espagne et entre 300 et 400 en Turquie [bg2]. Jusque dans les années 1960, les populations européennes de vautours moines étaient affectées par des persécutions directes (chasse, prélèvement des oeufs, trafic…) et par des effets indirects (empoisonnement à la strychnine, destruction et modification de l’habitat, diminution des ressources trophiques…). Ces menaces sont en partie jugulées dans certains secteurs, mais le poison continue à faire des ravages en Espagne et en Grèce.
En France, le Vautour moine nichait en Provence au XVIIe siècle et dans les Pyrénées dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il semblerait que le sud du Massif Central ait été son dernier lieu de nidification en France, comme l’attestent de nombreuses données bibliographiques concentrées entre 1883 et 1906 [7]. Parmi les raisons de la disparition du Vautour moine en France, TERRASSE [7], suppose que les déboisements massifs et les importants défrichements agricoles ont privé l’espèce de nombreux habitats favorables à sa reproduction. Toutefois, à l’instar des extinctions plus récentes dans d’autres pays d’Europe, ce rapace a dû payer un
lourd tribut aux destructions directes par tir, dénichage ou empoisonnement. La dernière mention historique concerne un individu adulte tué en 1906 dans les gorges de la Jonte. Entre 1992 et 2004, ce rapace a bénéficié d’un programme de réintroduction dans la région des Grands Causses. Une opération menée avec le concours de la Ligue pour la Protection des Oiseaux, du Parc National des Cévennes et de la Black Vulture Conservation Fondation. Au total, 53 individus ont été lâchés sur cette courte période [bg66]. Grâce à la présence d’une population locale de vautours fauves, ces vautours moines se sont parfaitement réintégrés à l’écosystème caussenard et la phase actuelle de colonisation de l’espace par ce rapace laisse augurer de bons espoirs pour une installation durable et pérenne. La première reproduction a été enregistrée en 1996 soit quatre ans après les premiers lâchés. Depuis, le nombre de couples ne cesse d’augmenter [8]. Le succès reproducteur est encore faible, mais cette population est jeune et encore relativement inexpérimentée. En 2000, quatre jeunes sont produits contre trois en 2001 et trois en 2002 [4 ; bg66]. En 2006, une vingtaine de territoires sont occupés et 16 couples nicheurs sont recensés. Sur les 14 naissances enregistrées, 11 jeunes ont pris leur envol. En l’espace de 11 saisons de reproduction, 39 jeunes ont été produits. Depuis 2004, le Vautour moine est en cours de réintroduction dans les Préalpes provençales, sur deux sites de lâcher. En l’espace de deux ans, 22 oiseaux ont été libérés : 18 dans la Drôme (Baronnies) et quatre dans les gorges du Verdon (Alpes-de-Haute-Provence et Var). Un couple semble en formation dans les Baronnies [C. TESSIER, comm. pers.]. Cette opération de réintroduction s’inscrit dans une action beaucoup plus vaste de conservation de l’espèce à un niveau européen, avec une opération similaire qui débute dans les Pyrénées catalanes (Espagne) et une action d’envergure envisagée dans les Balkans.
En 2007, l’effectif français est estimé à 90 individus, dont environ 75 dans les Grands Causses, parmi lesquels 18 couples nicheurs, et une quinzaine dans les Préalpes. Le statut de conservation vulnérable établi en 1997 pour la France (quatre couples nicheurs [bg53]) se justifie toujours, en raison de la taille de la population qui demeure très réduite et localisée.
Menaces potentielles
Les dérangements aux abords des aires peuvent parfois provoquer l’abandon d’un site. La création de sentiers et de pistes, la pratique de l’écobuage, l’exploitation forestière, la présence de lignes électriques, les chasses en battue (février et mars), les sports de plein air (parapente, etc.), le survol d'hélicoptère sont autant de nuisances susceptibles d’affecter gravement la reproduction de ce rapace en perturbant la quiétude des lieux de reproduction [1 ; 5]. Localement, il existe des risques d’empoisonnement, notamment dans les Alpes, voire dans les Pyrénées, où des vautours moines provenant d’Espagne sont de plus en plus souvent observés.
Enfin, la gestion des carcasses d’origine domestique (ovins en particulier), est régulièrement soumise à des modifications réglementaires d’ordre sanitaire, ce qui peut compromettre localement l’accès à cette ressource.
Propositions de gestion
En France, ce rapace bénéficie d’un Plan national de restauration depuis 2004 et un programme LIFE Nature dédié à sa conservation a été mené entre 1997 et 2001. Les deux programmes de réintroduction que sont celui des Grands Causses et celui des Alpes, doivent en théorie permettre d’amorcer une installation pérenne de l’espèce sur notre territoire, d’autant que ce rapace est actuellement en cours de réintroduction en Catalogne, à quelques kilomètres des Pyrénées-Orientales. Cette nouvelle population permettra donc à moyen terme de tisser un lien entre la colonie des Causses et les colonies du sud et du centre de l’Espagne.
La conservation de ce rapace sur le long terme implique de travailler sur quatre axes principaux :
· La préservation des habitats favorables à la reproduction. Espèce très sensible au dérangement, les sites de nidification doivent être protégés de toute perturbation dans un rayon minimal de 200 m autour du nid.
· L’accès à la ressource alimentaire. Moins tributaire que le Vautour fauve de la ressource trophique d’origine domestique, il a néanmoins besoin de troupeaux à longueur d’année sur son territoire et d’une faune sauvage
abondante (cervidés, lagomorphes). De plus, les législations sanitaires évoluant très rapidement, il est nécessaire de garder une veille sur tous les aspects réglementaires relatifs à l’équarrissage.
· Une cellule de veille sur l’utilisation du poison, qui constitue une pratique illégale, doit être mise en place, en particulier dans les secteurs où l’espèce cohabite avec le loup (Verdon, Drôme).
· La sécurisation des pylônes électriques est indispensable aux abords des sites de nidification, ainsi que sur les territoires de prospection alimentaire, notamment dans les secteurs dépourvus d’arbres ou de tout autre support surélevé. La visualisation de portions de câbles, mais surtout l’enfouissement, doivent être préconisés dans le cas de lignes traversant des zones boisées occupées par l’espèce.
Il convient aussi d'être vigilant concernant l'installation d'éoliennes sur les axes de passages de l'espèce [bg53]
Etudes et recherches à développer
Aucune étude scientifique sérieuse n’est pour l’instant mise en oeuvre sur les oiseaux présents en France. Des travaux de viabilité des populations et d’occupation de l’espace sont nécessaires afin de connaître les modalités de sélection de l’habitat et d’anticiper sur les mesures de gestion qui pourraient être proposées en amont. Il serait en parallèle très intéressant de mener des travaux sur les tailles de territoires prospectés pour la recherche de nourriture [voir notamment 6]. Enfin, une étude sur les ressources trophiques et en particulier la part de la faune sauvage dans le régime alimentaire de ce rapace, serait nécessaire pour estimer les potentialités d’accueil de sites a priori favorables à l’espèce.
Bibliographie
1. DONAZAR, J.A., BLANCO, G., HIRALDO, F., SOTO-LARGO, E. & ORIA, J. (2002).- Effects of forestry and other land-use practices on the conservation of cinereous vultures. Ecological Applications 12: 1445-1456.
2. ELIOTOUT, B. (2006).- Eléments d’identification des Vautours fauves et moines en vol. Ornithos 13(3): 166-173.
3. GENSBOL, B. (2005).- Guide des rapaces diurnes. Europe, Afrique du Nord et Moyen-Orient. Les Guides du Naturaliste Delachaux & Niestlé, Paris. 403 p.
4. LPO-GRANDS CAUSSES (2004).- Suivi et conservation des populations de vautours fauves, moines et percnoptères dans la région des Grands Causses en 2004. Rapport LPO, Peyreleau. 19 p.
5. MORAN-IOPEZ, R., SANCHEZ, J.M., COSTILLO, E., CORBACHO, C. & VILLEGAS, A. (2006).- Spatial variation in anthropic and natural factors regulating the breeding success of the cinereous vulture (Aegypius monachus) in the SW Iberian Peninsula. Biological Conservation 130: 169-182.
6. POIRAZIDIS, K., GOUTNER, V., SKARTSI, T. & STAMOU, G. (2004).- Modelling nesting habitat as a conservation tool for the Eurasian black vulture (Aegypius monachus) in Dadia Nature Reserve, northeastern Greece. Biological Conservation 118: 235-248.
7. TERRASSE, J.F. (1989).- Le Vautour moine (Aegypius monachus) appartient encore à la faune française. Alauda 57: 231-232.
8. TERRASSE, M., SARRAZIN, F. & coll. (2003).- A succes story : The Reintroduction of Eurasian Griffon Gyps fulvus and Black Aegypius monachus Vultures to France. In MEYBURG, B.U. & CHANCELLOR, R.D. (Eds) - Raptor Conservation Today. WWGBP / Pica Press, London. 103-108 p.
Source : Cahiers d'Habitats "Oiseaux", sous presse, La Documentation française
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