Grand-duc d’Europe, Bubo bubo (Linné, 1758)
Classification (Ordre, Famille) : Strigiformes, Strigidés
Description de l’espèce
C’est le plus grand de nos rapaces nocturnes. Le dos, de teinte brune ou roussâtre, est marqué de barres noires. Le disque facial est jaunâtre et surmonté de deux aigrettes frontales noires, bordées de roux sur le coté interne. La gorge est blanche, surtout chez le mâle. Les plumes de la poitrine et du ventre sont jaunes à rousses, marquées d’une large raie médiane et striées transversalement de noir. L’iris est orangé, presque rouge, mais il existe des individus avec un iris jaune. Le bec et les ongles sont noirs tandis que les pattes sont entièrement recouvertes de petites plumes brun clair, mouchetées de noir. Les rémiges et rectrices sont largement barrées de noir. Comme tous les rapaces nocturnes, le vol du Grand-duc est parfaitement silencieux.
Le juvénile se différencie de l’adulte par ses aigrettes de taille inférieure et l’iris jaune.
La mue postnuptiale des adultes est partielle, elle commence début juin à mi-juillet et se termine fin octobre (CRAMP, 1985).
Le chant, facile à reconnaître, est un hululement sur deux ou trois notes, plus grave chez le mâle. L’espèce émet aussi des caquètements en cas d’alarme et les jeunes, pour se faire repérer des adultes, chuintent toute la nuit, dès leur sortie de l’aire (Tous les Oiseaux d’Europe, J-C ROCHE CD 3/plage 5).
Longueur totale du corps : 62 à 75 cm. Poids : 2000 à 2700 g (mâle) ou 2500 à 3260 g (femelle).
Difficultés d’identification
La taille de l’espèce, vue en de bonnes conditions, exclue toute confusion.
Répartition géographique
Espèce sédentaire, au niveau mondial, le Grand-duc d’Europe est présent sur l’ensemble du continent eurasiatique. En Afrique du nord et dans le Sahara, le Grand-duc ascalaphe Bubo ascalaphus est maintenant considéré comme une espèce différente (Del Hoyoet al., 1999).
En Europe, le Grand-duc est présent dans tous les pays, à l’exception des îles britanniques.
En France, il est présent dans la plupart des massifs. Des Pyrénées jusqu’au Jura et aux reliefs bourguignons, la répartition est continue et englobe tout le Massif central et les Alpes jusqu’aux rivages de la Méditerranée. Un noyau de population, plus isolé et résultant de réintroductions, notamment en provenance d’Allemagne, occupe une partie du massif des Vosges, de la Lorraine et de l’Ardenne (BAYLE & COCHET in Yeatman-Berthelot & JARRY, 1994).
Biologie
Ecologie
Alors qu’en Europe de l’Est et du Nord, le Grand-duc occupe une grande variété de milieux, dont les zones marécageuses et surtout les forêts, dans notre pays, l’espèce reste, pour l’essentiel, limitée aux zones rupestres. Cependant, une tendance à l’élargissement de la niche écologique se fait sentir dans certains secteurs (forêts du Massif central, Camargue). Pour les sites les plus favorables, terrains de chasse et zones de reproduction sont juxtaposés (COCHET, 1991). Le Grand-duc niche depuis le bord de mer des îles de Marseille jusqu’à 2000 m dans les Alpes (BAYLE & COCHET in Rocamora & Yeatman-Berthelot, 1999). Pour les sites les plus favorables, terrains de chasse et zones de reproduction sont juxtaposés (COCHET, 1991).
Comportement
Le grand-duc vit par couple et peut être observé toute l’année sur son site. Le jour, les adultes occupent des gîtes diurnes, le plus souvent à l’abri de la vindicte des autres espèces d’oiseaux, mais ils apprécient parfois le plein soleil ou la pluie et sont alors bien en vue. De ce gîte, l’adulte dispose toujours d’un assez large champ de vision. La nuit, le Grand-duc quitte ses rochers après avoir stationné quelques temps sur un poste dégagé. L’essentiel du territoire de chasse est limité à un rayon de 2 km autour du site.
Reproduction et dynamique de population
Bien que le Grand-duc puisse chanter toute l’année, la période qui précède la ponte est particulièrement animée, le mâle chantant très près de la future aire. Les oeufs sont déposés directement sur le sol, sans aucun apport de matériau mais après une préparation soigneuse de la cuvette, voire d’un nettoyage de la végétation alentour. L’aire est le plus souvent sur une vire rocheuse, assez rarement accessible et aussi souvent dégagée que protégée par un buisson. Par contre, la présence d’un surplomb est appréciée. En forêt, l’aire peut être située au pied d’un grand arbre ou dans une ancienne aire de rapace. La ponte, de 1 à 4 œufs, est déposée au plus tôt fin décembre et jusqu’en avril. La quantité de nourriture disponible semble déclencher la période de ponte. Les œufs sont couvés 35 jours par la femelle et les jeunes restent à l’aire environ deux mois. Les deux adultes nourrissent les petits mais seule la femelle est capable de dépecer les proies. Suivant la configuration de l’aire, les jeunes peuvent la quitter assez tôt, avant même de savoir voler. Dès leur sortie de l’aire, les jeunes crient toute la nuit pour se faire repérer des parents et peuvent être nourris jusqu’à la fin de l’été, voire jusque dans le courant d’octobre. Globalement, la moyenne du nombre de jeunes à l’envol varie de 1,4 à 2,6 suivant les populations étudiées. C’est dans l’étage montagnard du Massif central que cette productivité est la plus faible (COCHET, 1994). Cette productivité est plus importante près des milieux ouverts et à proximité des villages (DEFONTAINES & CERET, 1990).
La longévité maximale observée grâce aux données de baguage est d’environ 24 ans (STAAV, 2001).
Régime alimentaire
Véritable super prédateur, le Grand-duc peut consommer toutes les proies qu’il peut maîtriser, du coléoptère au Héron cendré Ardea cinerea et au Grand Tétras Tetrao urogallus. Toutes les espèces de rapaces jusqu’à la taille du Circaète Jean-le-Blanc Circaetus gallicus et de l’Aigle de Bonelli Hieraaetus fasciatus peuvent entrer dans son régime alimentaire. Cependant, en France, les mammifères forment près de 80 % des proies capturées avec quatre grands régimes : Rat surmulot Rattus norvegicus, Hérisson d’Europe Erinaceus europaeus, Lapin de Garenne Oryctolagus cuninculus et Lièvre Lepus sp., micromammifères. Dans les sites proches des cours d’eau, les poissons sont systématiquement pêchés. Dans les secteurs où sont situées des décharges, les Grands-ducs dépendent uniquement des rats surmulots.
Etat des populations et tendances d’évolution des effectifs
Le statut de conservation de l’espèce est défavorable en Europe. Après un déclin dans les années 1970-1990 dans les pays du sud comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce, la population est restée stable ou s’est accrue dans la majeure partie des pays européens dans les années 1990-2000. Ses effectifs n’ont cependant pas encore recouvré leur niveau initial et dans quelques pays, les populations continuent à décroître (Finlande notamment). Les populations les plus importantes sont en Espagne, Russie d’Europe, Finlande, Norvège et France. Les effectifs européens sont estimés entre 19 000 et 38 000 couples (BIRDLIFE INTERNATIONAL, 2004).
En France, l’espèce est considérée comme rare (ROCAMORA & YEATMAN-BERTHELOT, 1999). Le Grand-duc a subi de grandes pertes dans ses effectifs, au moins durant le XIXe et le XXe siècle, par tout moyen de destruction dont le piège à poteau. De plus, ces périodes correspondaient à une utilisation intensive de tous les espaces par l’agriculture et l’élevage. Depuis, l’exode rural et la protection de l’espèce qui s’est accompagnée d’une augmentation notoire des effectifs et de la répartition, ont montré, à posteriori, les raisons essentielles de ce déclin passé. Ainsi, dans le Puy de Dôme, alors que 9 sites étaient connus en 1975, il y en avait 44 en 1988 (BRUGIERE et al, 1989) ; dans les Bouches du Rhône, l’augmentation est de 30 à 40 % entre 1979 et 1991 (BERGIER & BADAN, 1991). Plus récemment, dans la Loire, un recensement effectué dans les années 2000 a permis de trouver 43 nouveaux sites sur une estimation de 120 sites pour l’ensemble du département (BALLUET & FAURE, 2004).
Les effectifs français du Grand-duc sont certainement supérieurs à 1 600 couples, répartis dans les secteurs géographiques suivants : 700 dans le Massif central, 180 en Languedoc, 250 en Provence et 300 dans les Alpes pour les bastions les plus importants ; au moins 100 dans les Pyrénées mais quelques centaines seulement dans les autres massifs (Jura, Bourgogne, Vosges et Ardennes) (COCHET, 2006).
Aujourd’hui, le Grand-duc continue sa progression géographique à la conquête de ses anciens territoires. Cependant, il semble marquer le pas, comme la plupart des espèces faussement considérées comme strictement rupestres, devant le faible attrait de nos forêts de plaine qui ne semblent pas aujourd’hui correspondre à ses exigences. De fait, des territoires immenses ne seront peut-être pas colonisés à cause de la sylviculture. Pourtant, le Grand-duc était signalé vers 1910 en forêt de Fontainebleau.
Enfin, paradoxalement, une partie de l’augmentation des effectifs de l’espèce étant liée à la bonne densité des rats surmulots, l’espèce ne reflète pas réellement le bon état général des écosystèmes. Ainsi, la suppression des décharges, dans le cadre général d’une meilleure gestion de nos déchets, aura sûrement un impact sur les populations présentes dans ces secteurs.
Menaces potentielles
Les persécutions directes, même si elles n’ont pas complètement disparu, sont devenues anecdotiques. Par contre, l’espèce paye un lourd tribu aux lignes électriques. Il s’agit là de la première cause de mortalité liée à l’homme. Les dérangements par les sports de pleine nature comme l’escalade sont responsables de la désertion de certains sites (au moins 3 en Haute-Loire). Dans la vallée du Rhône, les défrichements de ces quinze dernières années pour la vigne, sont aussi responsables de la désertion de quelques sites. La construction de barrages a noyé des sites rupestres dans des gorges même si, souvent, le haut de ces sites, hors d’eau, est toujours occupé. La chasse, pouvant limiter les densités de gibier dans certains secteurs comme le Mercantour (BAYLE, 1992), peut limiter l’installation du Grand-duc.
Propositions de gestion
Il serait nécessaire de limiter les dérangements notamment liés aux sports de pleine nature, en établissant des accords avec les fédérations et associations de pratiquants de ces sports. Ainsi, il apparaît nécessaire de protéger des sites rupestres en y proscrivant ce type d’activités (BAYLE & COCHETin Rocamora & Yeatman-Berthelot, 1999), notamment par la mise en place d’APPB.
Il est important de poursuivre le travail de longue haleine consistant à rendre inoffensives les lignes électriques par des dispositifs anti-collision, comme il est déjà bien engagé dans certains secteurs comme la Haute-Loire. Pour permettre l’installation de populations forestières de ce rapace, il conviendrait de retrouver une plus grande naturalité dans nos forêts,notammenten maintenant à l’échelle des paysages un réseau le plus dense possible d’arbres matures ou surmatures. Cette mesure permettrait le maintien d’un bon niveau de biodiversité forestière.
Etudes et recherches à développer
Afin de suivre l’évolution des populations, la recherche annuelle des sites occupés et des preuves de reproduction serait souhaitable. De nombreux groupes « Grand-duc » organisent ce genre de suivi. Les Parcs régionaux et nationaux pourraient facilement mettre en place des suivis annuels. Par contre, nos connaissances sont très fragmentaires sur la dispersion des individus, et notamment des jeunes. Un programme de suivi de dispersion des jeunes en cours en Suisse montre des mouvements jusque dans la région Rhône-Alpes.
Il est intéressant de poursuivre les recherches sur le régime alimentaire du grand-duc dans les nouvelles zones colonisées par l’espèce.
A coté d’un cas avéré d’empoisonnement dans les années 2000, d’autres cas de mortalité suggèrent l’intervention indirecte de produits toxiques ; il serait bénéfique d’étudier tous les cas suspects qui pourront se présenter afin d’alerter le cas échéant les utilisateurs de tels produits.
Vous pouvez retrouver cette fiche "Espèces", plus en détail, dans les Cahiers d'habitats Natura 2000 : Tome 8 Oiseaux, en cliquant sur le lien suivant : http://inpn.mnhn.fr/docs/cahab/fiches/Grand-ducdeurope.pdf. |