Description de l’espèce
Le Milan royal est un rapace diurne de taille moyenne, facilement reconnaissable à sa queue profondément échancrée et ses couleurs rousses. La tête grise finement striée de noir tranche avec le reste du corps. La poitrine rousse est également striée de noir.
En vol, le dessus des ailes est plutôt sombre, alors que le dessous est nettement plus contrasté, puisqu’il présente deux grandes taches blanches au niveau des poignets. La queue rousse est typique aussi bien par sa couleur que par sa forme. Le bec est jaune et noir et l’iris est jaune. Le jeune de l’année est beaucoup plus pâle que l’adulte. Vu de près, il est aisément reconnaissable à son iris bistre, sa tête marron-blanc, son poitrail roux mêlé de blanc et le dessus de l’aile marqué d’une fine ligne blanche qui correspond au bout pâle des moyennes couvertures. Il acquiert le plumage de l’adulte au cours du premier hiver, sauf la frange pâle sur le dessus de l’aile visible jusqu’à la mue des plumes de vol qui intervient à partir du 1er printemps. La mue de l’adulte débute en avril et s’achève en septembre. Le cri s’entend principalement sur les sites de nidification et sur les sites d’hivernage. Il s’agit d’une sorte de
miaulement répété plusieurs fois (JCR, CD1/pl.80).
Longueur totale du corps : 59 à 66 cm. Poids : 800 à 1 250 g. Les femelles sont plus grosses que les mâles.
photo : Romain Riols ©
Répartition géographique
Le Milan royal est une espèce dont la répartition mondiale est exclusivement limitée au paléarctique occidental. Il est endémique à l’Europe. En période de nidification, on le rencontre dans les zones tempérées et méditerranéennes occidentales, dans une étroite bande reliant la péninsule ibérique à la Biélorussie. L'Ukraine constitue sa limite orientale de répartition. Plus à l'ouest, une petite population récemment établie occupe une partie de l'Angleterre. La sous-espèce M. m. fasciicauda cantonnée aux îles du Cap Vert est sur le point de disparaître.
Les cinq pays qui accueillent 90% de la population nicheuse mondiale sont par ordre d’importance : l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Suède et la Suisse. La quasi-totalité de la population mondiale hiverne en Espagne et, dans une moindre mesure, en France. Ailleurs, l’hivernage est dérisoire. Toutefois, la population britannique réintroduite et la moitié de la population suédoise sont sédentaires.
En France, l’aire de répartition du Milan royal en période de reproduction forme une diagonale allant du sud-ouest au nord-est. Les effectifs se répartissent comme suit : 15% dans les Pyrénées, 40% dans le Massif central, 20% dans le Jura, 15% dans les zones collinéennes du nord-est de la France (Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine et Bourgogne) et 10% en Corse. La France héberge 16% de la population mondiale [bg66]. L’hivernage en France concerne essentiellement le piémont Pyrénéen (près de 4 000 individus) et le Massif central (1 500 individus) auxquels s’ajoutent quelques dortoirs inférieurs à 20 individus dans le nord-est de la France, un dortoir d’une centaine d’individus sur la décharge d’Entressen dans les Bouches-du-Rhône et la population Corse sédentaire [10].
Biologie
Ecologie
Le Milan royal est typiquement une espèce des zones agricoles ouvertes associant l'élevage extensif et la polyculture. Les surfaces en herbage (pâtures, prairies de fauches) sont généralement majoritaires. Il n'habite pas les paysages très boisés dont les massifs forestiers trop proches les uns des autres ne correspondent pas à son mode de chasse et d'alimentation. De même, la proximité des zones humides seules ne suffit pas à l'établissement de couples nicheurs. En France, les paysages vallonnés qui constituent le piémont des massifs montagneux lui conviennent parfaitement. Le milan royal ne dépasse guère la zone des 1 000 mètres d'altitude pour établir son nid. Toutefois il franchit régulièrement cette limite pour chercher sa nourriture.
Comportements
En dehors de la saison de reproduction, il s’agit d’une espèce grégaire qui forme des dortoirs regroupant plusieurs dizaines, voire des centaines d’individus, aussi bien sur les sites d’hivernage que lors de la migration. Les vols collectifs en migration active ou en recherche de nourriture sont fréquemment observés. En période de reproduction, les zones les plus favorables, celles où les ressources alimentaires sont abondantes, permettent l’établissement de colonies lâches. C’est le cas dans la vallée du Regino en Corse, où des densités allant jusqu’à 12 couples au km² ont été relevées [8].
Les populations du Sud de la France sont probablement sédentaires, comme en Corse, alors que les populations du Centre et du Nord Est sont migratrices [bg66]. Le retour sur les sites de nidification se déroule de fin février à fin avril, alors que le départ vers les sites d’hivernage s’étale d’août à octobre.
Reproduction et dynamique de population
Dès son arrivée, entre quelques manifestations territoriales, le couple s’affaire à la construction du nid. Les couples qui ne reprennent pas le nid de l’année précédente, en construisent un nouveau en utilisant la base d’un vieux nid de corneille noire ou de buse variable. Le nid, constitué de branches et brindilles, est bien souvent garni de papiers, plastiques et chiffons. Peu de temps avant la ponte, de la laine de mouton est déposée dans le nid et forme une petite cuvette destinée à recevoir les oeufs. Il est habituellement construit dans la fourche principale ou secondaire d’un grand arbre et doit être facile d’accès. Aussi la majorité des nids se situent à moins de 100 mètres de la lisière et sont bien souvent situés à flanc de coteau. Le milan niche également dans les haies comportant de gros arbres et, dans certains cas, sur des arbres isolés. Enfin, il convient d'ajouter que l'espèce peut s'habituer à une certaine fréquentation humaine à proximité du nid et qu’il lui arrive de nicher près des habitations, chemins ou routes. La femelle pond deux à trois oeufs, rarement un ou quatre. Les pontes de trois oeufs dominent légèrement. Les oeufs ovales sont blancs, très rarement bleuâtres, parsemés de petites et grosses tâches rouges à marron sombre. La période de ponte s’étend de fin mars à avril. Il faut compter 31 à 32 jours d’incubation par oeuf. La femelle incube dès la ponte du premier oeuf et en assure la quasi-totalité, le mâle ne la relayant que sur de très courtes périodes. Celui-ci s'occupe de nourrir la femelle durant toute la phase d'incubation qui dure environ 38 jours pour une ponte de trois oeufs.
La plupart des couples de milans produisent 1 à 3 jeunes à l'envol, exceptionnellement quatre. Les poussins restent au moins 40 jours au nid, parfois jusqu'à 60, la durée varie en fonction de la taille de la nichée et de la disponibilité alimentaire. A cet âge, ils quittent le nid pour voleter de branches en branches, car ils ne volent réellement qu'à l'âge de 48-50 jours. Par la suite, la famille reste unie et continue d’exploiter le territoire de reproduction jusqu’à ce que les jeunes deviennent indépendants, généralement au bout de trois à quatre semaines. La première reproduction n'intervient qu'à l'âge de deux ou trois ans. Il a déjà été noté des oiseaux immatures aidant un couple formé à construire un nid. La longévité maximale observée à partir des données de baguage est d’environ 26 ans [bg61].
Régime alimentaire
Le Milan royal est l'un des rapaces les plus opportunistes qui soit. Son régime alimentaire est très varié. Il recherche ses proies en cerclant assez haut dans le ciel ou en pratiquant le vol à faible hauteur : mammifères, micromammifères, poissons, oiseaux, invertébrés, qu'ils soient vivants ou morts… On peut également voir le Milan royal passer des heures entières, posé dans les prairies et pâturages par temps humide à la recherche de lombrics. Il est ainsi capable d’exploiter une large gamme d’habitats et il tire avantage de toutes sources de nourriture localement accessibles et disponibles. Ainsi en Corse le développement de la population de Balagne est à relier à l’augmentation du nombre de lapins [9]. Les oiseaux hivernants demeurent pour la plupart cantonnés à des décharges où ils se nourrissent des déchets organiques disponibles tout au long de l’hiver.
Etat des populations et tendances d’évolution des effectifs
Le Milan royal était auparavant jugé comme non menacé, suite à l’augmentation des populations dans les années 80. Son statut a été modifié récemment suite à la baisse des populations constatées dans les pays qui hébergent les plus grosses populations (Allemagne, Espagne et France), du fait de la faiblesse des effectifs mondiaux (19 000 à 25 000 couples nicheurs) et de son endémisme européen. Il figure aujourd’hui sur la liste rouge mondiale (IUCN) comme espèce quasi-menacée [2] et est considérée comme étant en déclin à l’échelle européenne [bg2].
A la lumière de ces changements de statut et de l’état de santé de la population française, le statut de conservation français, établi en 1997, et qui considère l’espèce comme « A surveiller » [bg53], devrait être réévalué. L’effectif national de 3 000 à 3 900 couples estimés en 2002 doit être plus proche de 3 000 couples actuellement, conférant au Milan royal le statut d’espèce « en Déclin ».
La tendance d’évolution de la population française est globalement négative dans notre pays, même si elle diffère selon les régions. Ainsi, les populations du nord-est, du Jura et des franges est et nord du Massif Central sont en fort déclin depuis le début des années 90. Les diminutions d’effectif atteignent 80% dans certains secteurs et l’espèce a disparu de certains départements (Ardennes, Marne, Aube) [6 ; bg66]. Dans le reste du Massif Central et dans les Pyrénées, les populations semblent stables. Enfin, en Corse, les effectifs ont augmenté suite au développement de la population de lapins [bg53]. Le Milan royal est l’une des espèces de rapaces dont la distribution a le plus diminué entre 1990 et 2002 [bg66]. L’effectif total qui hiverne en France est estimé à environ 6 000 individus [bg66].
Menaces potentielles
Les menaces majeures qui contribuent au déclin de la population française et européenne sont d’une part la dégradation des sites de nidification (intensification de l’agriculture entraînant un appauvrissement des ressources alimentaires, enfrichement des zones de chasse) et d’autre part l’empoisonnement direct et indirect. En Espagne et en France, on assiste en effet à une recrudescence des cas d’empoisonnement volontaires depuis les années 90, par utilisation délibérée de pesticides agricoles dans des appâts [1 ; 11]. Parallèlement, les campagnes d’empoisonnements des rongeurs par le biais d’anticoagulants (bromadiolone pour le Campagnol terrestre Arvicola terrestris en zone de moyenne montagne en particulier) entraînent un phénomène d’intoxication secondaire très élevé qui touche de plein fouet le Milan royal aux moeurs charognardes [3].
Pour des raisons sanitaires suite aux différentes épizooties, la fermeture des dépotoirs liés aux abattoirs espagnols, où une forte proportion d’hivernants s’alimentait, a eu un impact sur les hivernants. Il en est de même avec la fermeture des décharges françaises en conformité avec la Directive 1999/31/CE du conseil du 26 avril 1999. Enfin, l’analyse des cas de mortalité révèle que le Milan royal est victime des lignes électriques (électrocution), des tirs (malgré sa protection légale), des éoliennes (problème de collision sur les sites de nidification) et de dérangements en période de nidification (travaux forestiers à proximité des nids entre autres) [bg66]. Des cas d’intoxication au plomb sont connus, révélés par les analyses de sang réalisées en Espagne [7].
Propositions de gestion
Le principal enjeu de conservation du Milan royal consiste à maintenir un système agro-pastoral extensif sur les zones de nidification et d’hivernage. Il faut inciter les agriculteurs, par le biais de mesures agro-environnementales, à conserver les surfaces herbagères et à favoriser l’élevage en général (bovins, ovins, équins). La conversion des terres arables en herbage extensif ne peut-être que bénéfique.
Une autre mesure prioritaire consiste à supprimer le phénomène d’intoxication secondaire dû aux traitements chimiques dans les zones de pullulation de Campagnol terrestre. L’utilisation de la bromadiolone telle qu’elle est permise aujourd’hui, à savoir un traitement préventif à basse densité, peut-être tolérée à condition de veiller au respect intégral de la législation permettant l’application de ce produit sur le terrain (arrêté ministériel du 4 janvier 2005). L’idéal étant l’interdiction pure et simple de la bromadiolone dans les ZPS. Pour éviter les pullulations, diverses mesures peuvent être développées [bg28; bg31; bg38]. Elles concernent l’aménagement du paysage (éviter les vastes espaces herbagers uniformes, plantation de haies), l’utilisation des terres (labours), mais aussi le traitement des taupes dont les galeries favorisent le déplacement des campagnols. En Franche-Comté, un contrat de lutte raisonnée regroupant ces mesures et quelques autres peut être souscrit par les agriculteurs. Localement, comme c’est le cas dans les Gorges de l’Allier (Haute-Loire), il serait judicieux de prévoir des mesures agro-environnementales pour enrayer la perte de zones de chasse due à la déprise agricole. Parallèlement à ces mesures principales, toutes celles visant à réduire la mortalité liée aux structures humaines (enfouissement de lignes électriques, interdiction d’installation d’éoliennes dans les zones à fortes densités) est à encourager. Il faut également encourager la sensibilisation de la population locale par l’intermédiaire de conférences et d’animations dans les écoles pour faire connaître ce rapace et éviter les actes de malveillance (tirs, empoisonnements directs). Il convient d’éviter les travaux forestiers autour des nids occupés, pour assurer la tranquillité des couples nicheurs. Dans les sites où la nidification du Milan royal est connue, la situation des nids est indiquée aux propriétaires (particuliers, communes) et gestionnaires (CRPF, ONF). Les recommandations en matière de gestion forestière suivantes sont préconisées dans le plan national de restauration [4] :
· ne pas couper les arbres supportant des aires, le milan réutilisant fréquemment le même nid d’une année sur l’autre après l’avoir rechargé ;
· ne pas réaliser de travaux forestiers (abattage, façonnage, création et ouverture à la circulation des pistes forestières, débardage de coupes notamment) dans un périmètre correspondant à un rayon de 300 m autour du nid du 1er mars au 31 juillet (période de reproduction) et intervenir de manière la plus légère possible le reste de l’année dans les abords du nid.
Etudes et recherches à développer
Suite à la validation du plan national de restauration en 2002 [5], il a été décidé de mettre en place un suivi de populations échantillons sur les principales populations françaises. Le suivi annuel consiste à repérer les couples nicheurs, suivre le succès de reproduction et baguer les jeunes et les adultes dans le cadre du programme de baguage national déposé en 2005 sur cette espèce. L’objectif étant de collecter et comparer les informations sur les paramètres démographiques et de donner des tendances d’évolution des populations. Des zones échantillons existent en Haute-Marne, Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Dôme et Loire. Leur pérennité n’est cependant pas assurée, faute de financement. Elles sont à développer ailleurs, notamment dans les Pyrénées, en Corse et dans le Jura. Des études sur le régime alimentaire et l’empoisonnement chronique des individus vis-à-vis de certaines substances toxiques seraient à mener. De même la pose de balises Argos (à l’image de ce qui est réalisé en Suisse) apporterait des informations très utiles sur les trajets migratoires et les zones d’hivernage des milans français.
Bibliographie
1. BERNY, P., LAMARQUE, F., BURONFOSSE, F. & LORGUE, G. (1998).- Pesticide poisoning in raptors in France : results from the SAGIR Network. Game and Wildlife Science 15: 343-350.
2. BIRDLIFE INTERNATIONAL (2005).- Species factsheet : Milvus milvus. Downloaded from http://www.birdlife.org on 22/3/2006.
3. JACQUAT, M. & MICHEL, J. (2000).- Bromadiolone et Campagnol terrestre Arvicola terrestris : une nouvelle campagne désastreuse en Franche-Comté. Nos Oiseaux 47: 81-85.
4. LPO (2005).- Site Internet « le Milan royal ». http://milan-royal.lpo.fr/index-2.html.
5. LPO Mission Rapaces & LPO Champagne-Ardenne (2002).- Plan national de restauration du Milan royal Milvus milvus. MATE / LPO. 76 p.
6. MALENFERT, P. (2004).- Le Milan royal Milvus milvus en Lorraine. Un déclin dramatique. Ciconia 28(2): 57-66.
7. MATEO, R., TAGGART, M. & MEHARG, A.A. (2003).- Lead and arsenic in bones of birds of prey from Spain. Environmental Pollution 126: 107-114.
8. MOUGEOT, F. (2000).- Territorial intrusions and copulations patterns in Red Kites Milvus milvus in relation to breeding density. Animal behaviour 59: 633-642.
9. MOUGEOT, F. & BRETAGNOLLE, V. (2006).- Biologie de reproduction et régime alimentaire du Milan royal Milvus milvus en Balagne (Corse) : importance du Lapin de garenne Oryctolagus cuniculus. Rapport PNR Corse / CNRS / DIREN Corse. 19 p.
10. RIOLS, R. (2006).- Hivernage 2005-06. Bilan national. Milan info 6-7: 2.
11. SERGIO, F., BLAS, J., FORERO, M., NÉSTOR FERNÁNDEZ, N., DONÁZAR, J.A. & HIRALDO, F. (2005).- Preservation of wide-ranging top predators by site-protection : Black and red kites in Doñana National Park. Biological Conservation 125: 11-21.
Source : Cahiers d'Habitats "Oiseaux", sous presse, La Documentation française