Description de l’espèce
L’Aigle botté, de la taille d’une buse variable, est le plus petit des aigles. Il présente une grosse tête proéminente, six rémiges primaires fortement digitées, et des tarses emplumés, points communs aux autres aigles. La queue est sensiblement aussi longue que la largeur de l’aile, droite avec l’extrémité carrée. La forme claire a le dessous du corps blanc, légèrement strié à la poitrine et à la tête contrastant avec les rémiges noires à l’exception de trois primaires internes qui forment une fenêtre plus claire. La forme sombre présente une face inférieure brun foncé à brun roux. Comme dans la forme pâle, trois rémiges primaires internes dessinent une zone plus claire. La face supérieure, bigarrée, présente une bande brunâtre claire aux épaules qui contraste avec les rémiges et la queue beaucoup plus foncées ainsi qu’une tache blanchâtre au niveau du croupion. Tous les individus présentent une queue grisée en face inférieure, se terminant par une bande plus sombre. Observé de face, on note la présence de petites taches claires (bretelles) de part et d’autre du cou. La mue postnuptiale des adultes est complète. Sa chronologie est mal connue, elle débute certainement en mai après le retour dans les quartiers d’hiver. La mue post juvénile est complète également et se déroule probablement en même temps que celle des adultes [bg7].
En vol plané direct, l’Aigle botté maintient ses ailes horizontales, voire légèrement pendantes et coudées, présentant des poignets saillants. En vol plané circulaire les ailes sont tenues droites, horizontales ou légèrement rabattues avec une queue partiellement déployée. Des vol planés sont souvent observés, entrecoupés de quelques battements. Les vols battus présentent des mouvements d’ailes amples, rapides et puissants [2].
La distinction entre les deux sexes est très difficile malgré un dimorphisme de taille (mâle plus petit d’un quart). C’est par une coloration rousse du dessus de la tête, de la nuque et des cuisses qu’un observateur attentif est susceptible de distinguer dans sa forme claire le jeune de l’adulte. Cet oiseau est plutôt discret, réputé par contre pour être très bruyant en phase nuptiale (JCR, CD1/pl.75).
Longueur totale du corps : 50 à 57 cm. Poids : 500 à 800 g (pour le mâle), 850 à 1250 g (pour la femelle).
photo : Christian Aussaguel ©
Répartition géographique
Cette espèce discrète, migratrice transsaharienne, occupe une bande comprise entre 30° et 56 ° de latitude Nord, du Portugal et du Nord de l’Afrique à la partie occidentale de la Manchourie en Chine [bg30]. L’espèce hiverne de l’Afrique occidentale jusqu’en Afrique du Sud. Une population résidente est signalée à l’Ouest de l’Afrique du Sud et de la Namibie [4]. On signale également une tendance à la sédentarisation au sud et au sud-est de l’Espagne depuis le milieu des années 80 [bg44]. L’espèce est absente en Italie et au centre du continent. Les effectifs se répartissent sur une diagonale Sud-Ouest/Nord-Est. Le piedmont pyrénéen, notamment l’Ariège et les contreforts du massif central accueillent la moitié de la population nationale. Exclue de l’Alsace, du massif alpin, de la Corse et du quart Nord-Ouest, l’espèce présente une petite population en Provence. Des reproductions ont été constatées ou suspectées en limite de l’aire de répartition connue. Citons en particulier le Sud Finistère et le Jura comtois [bg66]. Cependant, les preuves certaines de reproduction pour la Franche-Comté font défaut depuis plusieurs années laissant présager de l’absence de l’espèce en tant que nicheuse. C’est dans le Béarn (7 couples/100 km2), en forêt d’Orléans (5.7 couples/100 km2 pour une population estimée entre 25 à 40 couples pour l’ensemble du département du Loiret [6]) et dans l’Allier (8.5 couples /100 km2), que l’on relève les densités les plus importantes.
Les vallées de l’Allier et de la Sioule (Allier) accueillent 16/21 couples sur 780 km2 tandis que les vallées de l’Allier en Haute-Loire, de la Sioule dans le Puy-de-Dôme et de la Truyère dans le Cantal, accueillent 31-41 couples sur environ 1 000 km² [LPO Auvergne, comm. pers.]. La vallée de la Dordogne dans la Corrèze, le Cantal et le Puy-de-Dôme abritent 20/24 couples [5]. La Saône-et-Loire accueille un minimum de 50 couples et il se reproduit au moins en petit nombre dans les autres départements de Bourgogne [bg62]. La présence de l’Aigle botté est confirmée sur les départements du Languedoc-Roussillon, plus particulièrement dans l’Aude [7].
Quelques individus hivernent dans le sud de la France depuis une vingtaine d’années [bg71] notamment dans le Gard et la Camargue (un à cinq réguliers) et les Pyrénées-Orientales (occasionnel).
Biologie
Ecologie
Dans ses quartiers d’hiver, l’espèce fréquente les zones de savanes et de steppes boisées du sud saharien. Difficile dans le choix de son site de nidification, exigeant en tranquillité, l’aigle botté fréquente surtout des milieux forestiers ou semi-forestiers calmes et secs, entrecoupés d’espaces ouverts ou de landes. Il recherche généralement des vieux arbres situés en haut de versants bien exposés lui permettant un envol aisé, sur lesquels les deux adultes construisent ou réaménagent une ancienne aire à une hauteur de dix à trente mètres [bg66]. La diversité des milieux lui convient mieux que l’uniformité. Les bois pâturés de chênes pubescents constituent des terrains de chasse intéressants.
Il peut nicher du niveau de la mer jusqu’à 1600 mètres dans les Pyrénées. Dans le Sud il est présent dans les pinèdes et dans les chênaies vertes. On le trouve en plaine, nichant dans une peupleraie en ripisylve de l’Aude à une altitude de 126 mètres [7]. Dans le Centre et dans le Nord-Est son domaine vital est constitué de massifs de feuillus et de pins entourés préférentiellement de zones bocagères, mais des tentatives d’installation ont été observées dans de petits bois isolés au milieu de grandes cultures dans le Gâtinais de l’Ouest. En forêt d’Orléans, il semble installer son nid préférentiellement sur pin sylvestre ou pin laricio. En Corrèze et dans le Cantal il niche aussi bien dans des grands hêtres en versant Nord [NORE, comm. pers] que dans les chênaies. La surface de son territoire n’est pas bien connue [1].
Comportements
Chasseur habile en vol, exécutant parfois des piqués et plus couramment des vols glissés à quelques dizaines de mètres d’altitude comme l’Autour des palombes (Accipiter gentilis), l’Aigle botté parcourt aussi bien les zones forestières que les plateaux ouverts. Il peut être observé à plus de 10 km de l’aire. Bien que quelques individus soient régulièrement observés en hivernage dans le Sud de l’Europe [bg71], l’espèce est migratrice. La migration, essentiellement terrestre, s’opère par le Caucase, le Bosphore et Gibraltar [2]. Les oiseaux nord-pyrénéens gagnent le sud du Sahara en survolant dans la deuxième moitié de septembre les cols pyrénéens (col d’Organbidexka) [bg71].
Des individus migrateurs sont régulièrement observés en Auvergne et dans le Languedoc-Roussillon. Solitaire dans leurs quartiers d’hiver, les aigles bottés constituent un couple uni, semble-t-il à vie, sur le site de reproduction. En phase prénuptiale les premiers oiseaux sont observés dés la mi-mars pour être sur les sites de nidification début avril. Un phénomène de rétro-migration (de l’Espagne) a été observé de façon spectaculaire durant l’automne 2004 qui a vu affluer plusieurs centaines d’oiseaux à l’origine d’un hivernage sans précédent dans le midi de la France [3].
Reproduction et dynamique de population
La maturité sexuelle de l’Aigle botté n’est pas connue. C’est vers la mi-avril que les parades nuptiales peuvent être observées. Les oiseaux sont très bruyants et effectuent des piqués spectaculaires après s’être élevé à des altitudes variant de 500 à 800 mètres. Des poursuites en parallèle sont parfois observées [1]. Fin avril, et surtout dans la première quinzaine de mai, la femelle pond deux oeufs dans un nid fait de branches et de brindilles et garni de feuilles vertes et d’aiguilles de conifère. Le nid peut être réutilisé plusieurs années de suite. Il est courant de constater l’élevage de deux juvéniles, contrairement à d’autres espèces d’aigles pour lesquelles des cas de caïnisme sont fréquents. La couvaison est assurée principalement par la femelle pendant 36 à 38 jours. L’envol des juvéniles s’opère entre 50 à 60 jours après l’éclosion. Après avoir accompagné les parents pendant un maximum de 47 jours le départ en migration des juvéniles anticipe d’une quinzaine le départ des adultes [2].
Le nombre moyen de jeunes à l’envol varie de 1,3 dans le Gers et la Saône et Loire à 1,6 dans les Pyrénées occidentales [bg66].
Régime alimentaire
Eclectique, il consomme préférentiellement des reptiles (en Espagne, grands lézards surtout) et des oiseaux de moyennes et petites tailles (petits passereaux, turdidés, columbidés, corvidés…), mais également de petits mammifères comme les lapereaux et les campagnols. Il chasse aussi bien en sous-bois où il pratique la chasse à l’affût, qu’en milieu découvert et n’hésite pas à s’approcher des fermes et des villages, attiré notamment par les pigeons domestiques. Dans ce dernier type de milieu, soit il pratique l’attaque en plein ciel, soit il exécute d’abord un vol glissé d’observation à faible hauteur, puis attaque sa proie qu’il maîtrise au sol. Des insectes, consommés au sol, peuvent représenter jusqu’à 20% de son alimentation [2].
Etat des populations et tendances d’évolution des effectifs
La population mondiale approche les 17 000 couples nicheurs [bg21] et les effectifs européens sont estimés à 2 700/5 800 couples reproducteurs, Turquie et Russie exceptée [bg3]. Les deux tiers des effectifs européen, soit 2 000 à 4 000 couples, sont présents dans la péninsule ibérique [bg4]. Le statut de conservation de l’Aigle botté est jugé « rare » en Europe et en France [bg2]. La population est en déclin dans plus de la moitié des pays où il est considéré comme reproducteur, en particulier les populations les plus orientales. La population reproductrice se maintient en Espagne, avec 50% des effectifs nicheurs européens, au Portugal, en France et en Russie, pays accueillant 85 à 91% de la population européenne de l’espèce [bg44].
La France accueillerait de 10% à 15% de l’effectif nicheur européen (380 à 650 couples territoriaux) ce qui la place comme deuxième pays européen derrière l’Espagne en terme d’importance de la population présente sur son territoire [bg66]. C’est au cours des dernières décennies que l’Aigle botté a régressé dans la moitié nord de la France vraisemblablement en raison des importantes modifications des pratiques agricoles qui ont entraîné la perte de ses habitats.
Menaces potentielles
Dégradation et perte de l’habitat :
La plus grande part des abandons de site correspond à des modifications significatives de l’habitat de l’espèce. La disparition des lieux d’alimentation (prairies et espaces bocagers de plaine à proximité des sites de nidifications, grands massifs forestiers) a sans doute contribué à la diminution de l’espèce. En forêt, La récolte des arbres porteurs du nid ou propice à une installation (vieux arbres en haut de versant) diminue également les potentialités de nidification. En montagne, la menace vient de la fermeture des milieux ouverts, notamment en Ariège, suite à la déprise agricole. Par ailleurs, les travaux forestiers et les exploitations forestières en période de reproduction, la création de pistes de débardage et les activités de tourisme vert sont susceptibles de perturber l’Aigle botté sur ses sites de reproduction, voire de déplacer les reproducteurs vers des secteurs moins intéressants pour leur nidification. Enfin, les lignes électriques représentent un risque de collision pour ce rapace.
Propositions de gestion
La conservation d’un maillage bocager en périphérie des massifs boisés et le maintien de la diversité des milieux devraient permettre de pérenniser les ressources alimentaires indispensables à la réussite de la reproduction, l’un des facteurs les plus critiques pour l’espèce (faible taux d’envol en France). En forêt, l’essentiel des mesures à prendre passe par une bonne connaissance des sites de nidification et la prise en compte de l’espèce dans les actes de gestion (absence de coupes et de travaux sylvicoles en période de reproduction). La mise en place d’un rayon de tranquillité en accord avec le propriétaire ou le gestionnaire (de 150 à 300 mètres autour de l’aire, selon la configuration des lieux, zones pentues ou non), serait nécessaire, en conservant une
couronne de plusieurs hectares de peuplement forestier mature. Dans les massifs où l’espèce est connue, la présence constante à l’échelle du massif de peuplements matures suffisamment étendus doit être garantie.
Une concertation lors de projets de création de piste dans les milieux sensibles doit être engagée avec les organismes gestionnaires. Des clauses prévoyant la suspension de tous travaux et la limitation d’accès à certaines pistes à proximité des aires de mars à août dans un rayon de 300 mètres doivent être rédigées et appliquées. Il faut continuer la mise en sécurité des installations électriques par la pose de dispositifs tels que les systèmes anticollision et les isolateurs [8].
Le développement en cours d’installations éoliennes doit prendre en compte, à l’échelle de l’Europe, la présence de couloirs de migration. Il y aurait nécessité de préserver les principaux sites du piémont pyrénéen parce qu’ils concentrent probablement près
de la moitié des effectifs français [bg66].
Etudes et recherches à développer
L’Aigle botté est un oiseau discret dont les effectifs sont très difficiles à estimer. Une priorité doit être accordée à une intensification des prospections avec la mise en place d’une coordination nationale. Un programme pourrait être mis en place avec l’Espagne pour mieux appréhender notamment les phénomènes de migration et de sédentarisation.
Des études permettant d’apporter une meilleure connaissance de la migration (phénomène de rétro-migration, quartiers d’hivernage), du régime alimentaire et des habitats utilisés sont également nécessaires. A l’échelle locale, la sensibilité de l’aigle aux éoliennes pour les zones de chasse et de nidification doit être vérifiée.
Bibliographie
1. CARLON, J. (1987).- Effectifs, répartition et densité de l’Aigle botté, Hieraaetus pennatus (Gmelin 1788) dans les Pyrénées-Atlantiques. Alauda 55: 81-92.
2. GENSBOL, B. (1999).- Guide des rapaces diurnes. Europe, Afrique du nord et moyen-orient. Delachaux et Niestlé S.A, Lausanne, Switzerland - Paris. 414 p.
3. GUILLOSSON, T., GARCIA, F. & JARDIN, M. (2006).- "Rétromigration" d’Aigles bottés Hieraaetus pennatus dans le Midi de la France à l’automne 2004. Ornithos 13(1): 48-57.
4. KEMPS, A. & KEMPS, M. (1998).- Birds of prey of Africa and its islands. New Holland publishers ans Sasol., Londres.
5. LPO AUVERGNE /SEPOL (2000).- L’Aigle botté (Hieraaetus pennatus), 12-14 in ZICO LN03 « Gorges de la Dordogne » - Statut et localisation des espèces de l’annexe 1 de la Directive 79/409/CEE.
6. NATURALISTES ORLEANAIS (2003).- Mise à jour des connaissances sur les espèces de la Directive « Oiseaux » CE 18 : Forêt d’Orléans, Massifs d’Ingrannes et de Lorris. Propositions d’adaptations argumentées des périmètres Zico. Rapport Diren-Centre. 36 p. + annexes cartographiques.
7. POLETTE, P. (2004).- L’Aigle botté, hieraaetus pennatus, nicheur dans l’Aude. Meridionalis 6: 34-38.
8. SERIOT, J. & ROCAMORA, G. (1992).- Les rapaces et le réseau électrique aérien. Analyse de la mortalité et solutions. Rapport LPO / EDF. 19 p + Annexes.
Source : Cahiers d'Habitats "Oiseaux", sous presse, La Documentation française