Description de l’espèce
Rapace diurne d’assez grande taille à la tête blanche et au plumage uniformément brun sombre dessus et blanc dessous où de plus près se remarque une bande noire reliant la base arrière de l'aile au poignet marqué d'une tache noire. Les rémiges rayées sont brunes aux extrémités. La queue est finement barrée. Le haut de la poitrine est plus ou moins intensément tacheté. Au posé, le bandeau noir au niveau de l'oeil est diagnostique. Les pattes sont relativement longues pour un rapace de cette taille. Ce plumage est porté toute l’année par les deux sexes, la femelle pouvant se distinguer à son plastron brunâtre plus marqué et sa corpulence plus forte. Le plumage juvénile, de l’envol jusqu’à l’entrée de l’hiver, présente un aspect écailleux sur le dessus, dessiné par le
liseré clair des plumes du dos et des couvertures alaires. La nuque et le haut de la poitrine sont roussâtres. La mue est pratiquement continue sur le cycle annuel avec arrêts aux époques migratoires. La silhouette en vol est caractéristique avec des ailes longues et étroites et le poignet coudé. De profil, la partie antérieure de l’aile est tenue relevée tandis que l’extrémité est abaissée donnant une allure en cloche. En action de pêche, il utilise le vol sur place, puis plonge pattes en avant avec ou sans paliers d’approche.
Vocalisations : Sifflements aigus émis en série (JCR, CD1/pl.70).
Longueur : 55-60 cm, Poids : 1200-1600 g pour le mâle et 1600-2000 g pour la femelle.
photo : Jean-Baptiste Pons ©
Répartition géographique
Cosmopolite, la sous-espèce nominale, présente en France, se reproduit en Eurasie (localisé en Europe de l’Ouest), en Afrique du nord et au Moyen-Orient. Sa distribution évite la toundra, les zones désertiques et montagneuses. Les trois autres sous-espèces occupent l’Amérique du nord, les Caraïbes et le Pacifique occidental. Les oiseaux paléarctiques hivernent de l’Afrique au sud du Sahara jusqu’à l’Asie du Sud-Est. En France c’est un migrateur régulier le long des axes fluviaux et des côtes ainsi que sur les lacs, étangs et grands plans d’eau, de manière diffuse sur tout le territoire à basse altitude. C’est un nicheur rare et localisé à la Corse et à la moyenne vallée de la Loire (Loir-et-Cher et Loiret). En dehors de la Corse où les oiseaux sont majoritairement sédentaires, l’hivernage reste marginal dans notre pays, mais intéresse régulièrement quelques individus dans le Finistère, les Pyrénées atlantiques et la Camargue. Les observations hivernales dans le Centre et l’Est restent occasionnelles.
Biologie
Ecologie
Le Balbuzard pêcheur est susceptible d’occuper une large gamme d’habitats qui conjuguent un site favorable à la reproduction (y compris artificiel) à proximité de zones de pêche. En France continentale, il s’établit dans les grands massifs forestiers, comportant des peuplements de pins âgés (des cas existent sur des arbres isolés), proches de la Loire. En Corse, il est uniquement cantonné aujourd’hui sur les côtes rocheuses de l’ouest de l’île. En général il évite la promiscuité avec l’homme. Il se nourrit dans un large éventail de milieux humides : eaux courantes ou dormantes, douces ou salées. Sur les lieux d’hivernage de l’ouest africain, il est répandu sur les lagunes côtières, le long des grandes rivières et des lacs et zones d’inondation [4].
Comportements
L’espèce est diurne. Les couples sont généralement isolés mais peuvent aussi former de petites « colonies lâches » où l’espacement des nids n’est plus que de quelques centaines de mètres. Aux abords du nid, la défense territoriale est active de même que la surveillance des prédateurs (corvidés, martre). Les territoires de pêche ne font pas l’objet de défense territoriale. Les sites de reproduction sont fréquentés de la fin de l’hiver au milieu de l’été. Les nouvelles implantations s’amorcent dans le courant de l’été et plusieurs années peuvent s’écouler avant une reproduction effective. Son double passage s’inscrit principalement en mars-avril puis de la mi-août à la mi-octobre. En migration et en hivernage les oiseaux sont solitaires, mais les secteurs favorables riches en proies peuvent concentrer les individus.
Reproduction et dynamique de population
Le cantonnement sur le site de reproduction intervient en début d’année en Corse (janvier-février) et plus tard le long de la Loire (mars-avril). L’espèce est en principe monogame. A ces époques les activités de construction, les parades aériennes et les accouplements sont fréquents. L’aire, volumineux amas de branches, est bien exposée au sommet d’un pin en forêt (souvent tabulaire et dominant), d’un piton rocheux, voire dans une falaise en bord de mer. Elle est souvent fidèlement occupée au fil du temps. La ponte unique déposée en avril comprend un à trois oeufs (plus rarement quatre), incubés 37 jours en moyenne (35 à 43). Les éclosions sont asynchrones et les poussins nidicoles. Le mâle assure l’essentiel du ravitaillement. La femelle prend en charge l’incubation, la protection et l’élevage des jeunes, ne participant à la pêche que lorsque les jeunes sont âgés. Les jeunes prennent leur envol vers l’âge de huit semaines, souvent dans la première semaine de juillet. Ils restent dépendants et cantonnés pendant un mois avant que la famille se disperse. La productivité moyenne est de 1,4 jeunes en Corse et de 1,8 en région Centre où la population est en croissance.
La maturité sexuelle commence à partir de trois ans. 43 à 60% des oiseaux atteignent l’âge d’un an, 37% leurs quatre ans, 17% leurs huit ans et seulement 6 à 8% leurs 12 ans [3]. La longévité maximale relevée en France est de 13 ans en Corse mais en Amérique du nord et en Scandinavie des âges de 25 ans sont cités.
Régime alimentaire
Toute l’année, son régime alimentaire est uniquement composé de poissons capturés vivants lors de plongeons spectaculaires. La taille moyenne recherchée est d’une trentaine de cm (15-45 cm). La ration quotidienne est de l’ordre de 300 g. Il pêche en eaux peu profondes. En mer il recherche les espèces qui vivent en surface. En région Centre, il s’agit majoritairement d’espèces de la famille des cyprinidés. En Corse les mulets dominent. Les proies repérées en vol sont capturées dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres autour du site de reproduction. En période de nourrissage des jeunes, un à sept poissons sont apportés quotidiennement.
Etat des populations et tendances d’évolution des effectifs
Le statut de conservation du Balbuzard pêcheur est défavorable en Europe où il est un nicheur rare avec 7 600-11 000 couples [bg2] soit un tiers de la population mondiale estimée [2] et où 90% de la population est regroupée en Suède, Finlande et Russie [bg30]. Entre 1990 et 2000, les effectifs européens sont stables ou en augmentation selon les pays [bg2].
La liste rouge française le range dans la catégorie vulnérable en raison de ses faibles effectifs [bg53].
En France, l’espèce qui bénéficie depuis 1999 d’un plan national de restauration du MEDD fait l’objet de suivis annuels minutieux. En Corse où l’effectif n’a jamais été très important, la situation est dramatique au milieu des années 70 avec quatre couples recensés. Puis les effectifs et la répartition vont s’accroître pour se stabiliser autour de 25-30 couples à compter des années 90.
En France continentale les derniers nicheurs disparaissent dans la première moitié du XXe siècle. En 1984, un premier couple est découvert dans l’Orléanais entraînant dans les deux décennies suivantes l’installation d’au moins 21 couples cantonnés en 2004 le long de la Loire moyenne auxquels s’adjoignent des oiseaux supplémentaires non reproducteurs. Le baguage a démontré qu’une partie au moins des colonisateurs est née en Allemagne orientale [5].
Parallèlement, des couples isolés cherchent à s’installer dans diverses régions du pays.
La population reproductrice française comprend une cinquantaine de couples scindés en deux foyers. Celui de Corse semble à saturation, tandis que sur le continent la dynamique est à l’expansion avec de nombreuses possibilités.
Plusieurs milliers de migrateurs en provenance d’Ecosse et du nord de l’Europe, traversent deux fois par an le pays et y stationnent plus ou moins longuement (de quelques heures à plusieurs semaines). Lors de la migration prénuptiale le val d’Allier présente des densités variant de 0,3 à 0,4 oiseau au kilomètre [1] tandis que le bassin de la Loire hébergerait certains jours entre 200 et 300 migrateurs. Hors Corse, l’effectif hivernal national ne dépasse pas cinq oiseaux [bg19].
Causes de l’augmentation des effectifs :
La croissance actuelle de la population française repose sur la protection de l’espèce doublée de mesures de gestion en sa faveur. Le noyau de France continentale bénéficie aussi du dynamisme dans l’aire de distribution septentrionale.
Menaces potentielles
Si les persécutions humaines répétées (tirs, piégeages, destructions des nids, collectionneurs), responsables de la situation de la première moitié du XXe siècle, sont aujourd’hui largement révolues, des actes de malveillance sont toujours à craindre ponctuellement et encore régulières ici et là sur les voies migratoires. En milieu forestier, le développement des travaux et exploitations pendant la saison de reproduction constitue la principale cause de dérangement, voire de destruction. En bord de mer les activités touristiques sont de même nature. L’électrocution sur les réseaux de transport de l’énergie électrique est la principale cause de mortalité même si une partie des oiseaux qui s’installent dans l’intérieur du pays ont vu le jour au sommet de pylônes électriques de l’est du continent.
La sensibilité de l’espèce aux organochlorés n’a pas eu de répercussion connue en France mais la contamination des proies par les polluants n’est pas à écarter.
Propositions de gestion
Les axes d’action s’orientent vers la conservation des couples déjà présents et l’installation de nouveaux et induisent d’une part la surveillance des sites, la sensibilisation du public et d’autre part l’installation de sites artificiels. La pérennité des sites de reproduction rend efficace les mesures prises sur ceux-ci. En premier lieu il est nécessaire de maintenir sur pied des arbres porteurs d’aires de préférence accompagnés d’autres perchoirs environnants, puis de suspendre les activités dans un rayon de 300 mètres aux alentours du 1er mars à fin août. La pose de systèmes antiprédateurs est parfois nécessaire (manchons plastifiés autour des troncs, surélévation sur substrat rocheux). Malgré une tolérance certaine du balbuzard, la maîtrise des activités de loisirs est indispensable. Au même titre que bien d’autres espèces rares, l’interdiction des prises de vue et de son à proximité des nids est à conseiller.
La sensibilisation (les moyens sont nombreux) des professionnels mais aussi du public ne doit pas être négligée et peut conduire comme en Forêt Domaniale d’Orléans à l’aménagement d’un observatoire aujourd’hui doublé d’une retransmission vidéo en directe du nid. Tous les supports médiatiques sont à mettre à contribution pour accompagner le retour de ce rapace symbolique.
Dans le but d’aider à la colonisation de nouveaux sites ou dans le cas de menaces sur un site existant, la construction de plateformes est en général un moyen efficace dans des secteurs déjà colonisés. Pour les régions vierges, la technique reste plus aléatoire.
Etudes et recherches à développer
D’une manière générale l’espèce a été largement étudiée. En France, au sein de diverses structures administratives et associatives le suivi de l’évolution de la situation et du succès de la reproduction est assuré, et coordonné notamment au travers d’un plan national du MEDD, ainsi que d’un programme de baguage des jeunes [6]. Dans l’immédiat ils méritent d’être poursuivis. Il convient de développer les prospections dans les régions où l’espèce peut potentiellement s’installer. Les lieux d’hivernage ne sont pas précisément identifiés, un programme de suivi par balise Argos permettrait de lever le voile.
Bibliographie
1. BLANCHON, J.J., GUELIN, F. & PIC, G. (1993).- Le Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) : Observations migratoires et comportements en val d’Allier. Le Grand-duc 42: 2-23.
2. POOLE, A. (1989).- Ospreys. A natural and unnatural history. Cambridge University Press, Cambridge. 246 p.
3. PRATZ, J.L. (1996).- Le Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus). Etude de la population nicheuse en Région Centre. Les dossiers forestiers n°1. Office National des Forêts/ Naturalistes Orléanais/ Direction Régionale de l’Environnement Centre, Paris. 101 p.
4. THIOLLAY, J.M. (1989).- Distribution and Ecology of Palearctic Birds of Prey Wintering in West and Central Africa. In MEYBURG, B.U. & CHANCELLOR, R.D. - Raptors in modern World. Proceeding of the III World Conference on Birds of Prey and Owls. ICBP, IUCN/SSC, WWGBP, Berlin, London, Paris. 95-107 p.
5. THIOLLAY, J.M. & WAHL, R. (1998).- Le Balbuzard pêcheur Pandion haliaetus nicheur en France continentale. Ecologie, Dynamique et Conservation. Alauda 66(1): 1-12.
6. WAHL, R. & BARBRAUD, C. (2005).- Dynamique de population et conservation du Balbuzard pêcheur Pandion haliaetus en Région Centre. Alauda 73(4): 365-373.
Source : Cahiers d'Habitats "Oiseaux", sous presse, La Documentation française
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