Description de l'espèce
La Bondrée apivore est un rapace diurne de taille moyenne, très semblable à la Buse variable, Buteo buteo. L’adulte présente une petite tête qui peut faire penser à celle d’un pigeon, grise chez le mâle, plutôt brune chez la femelle. L’iris est jaune ou orangé, le bec est sombre avec une cire gris-bleu, les pattes sont jaunes. La coloration et les dessins du plumage sont très variables d’un individu à l’autre, allant du très sombre au très pâle. Cependant, dans presque tous les cas, le dessous du corps et des ailes est ponctué plus ou moins densément de noir, les points étant alignés avec une régularité symétrique. Le trait du plumage le plus caractéristique de la Bondrée adulte est la présence de trois barres sombres très marquées sur la queue, bien visibles lorsque celle-ci est étalée : une barre large vers l'extrémité, et deux barres plus fines près du corps.
En vol, la silhouette paraît souvent légère, du fait d'une queue longue (au moins aussi longue que la largeur de l'aile), de la petite tête portée bien en avant, et du mouvement des ailes généralement lent et ample. L'une des attitudes les plus caractéristiques de la Bondrée est un long vol plané, avec de temps en temps un coup d'aile très profond vers le bas. Au printemps, le vol nuptial est également typique, vol lent en festons prononcés, avec au sommet des festons un mouvement rapide des ailes au-dessus du corps, comme un applaudissement. C'est aussi à cette occasion qu'on a le plus de chances d'entendre son cri, qui est également caractéristique : c'est un long sifflement, sur deux tons, plus aigu et d'une sonorité plus pure que le miaulement criard de la Buse (JCR, CD1/pl.77).
La détermination des jeunes bondrées est beaucoup plus difficile, même pour des observateurs expérimentés, car la plupart des caractères déterminants de l'adulte sont absents chez les jeunes : la tête est souvent claire, parfois brune, l'iris brun ou gris, la cire du bec jaune. Les ponctuations sous le corps et les ailes sont moins nettes que chez l'adulte, et la queue présente quatre barres, régulièrement espacées, mais peu visibles. Même la silhouette paraît moins élancée que celle de l'adulte ; on peut cependant toujours remarquer la petite tête, et surtout l'allure en vol. La queue, lorsqu'elle est tenue serrée, présente une échancrure centrale faible mais bien visible, qu'on n'observe ni chez l'adulte ni chez la Buse.
La mue postnuptiale des adultes, complète, débute sur les sites de nidification fin juillet à début septembre, et se termine après la migration entre novembre et janvier [bg7].
Longueur totale du corps : 52 à 60 cm. Poids : 600 à 950 g (mâle un peu moins grand que la femelle).
photo : Guy Bourderionnet ©
Répartition géographique
La Bondrée apivore niche en Europe moyenne et septentrionale, et en Asie occidentale. En Europe, elle est absente du pourtour méditerranéen, d'Islande et du nord de la Scandinavie, elle est rare dans les îles britanniques. La limite sud de répartition passe par le nord de l'Espagne, le midi de la France, l'Italie moyenne et le nord de la Grèce. Vers le nord, la Bondrée atteint la Norvège méridionale, la Suède, la Finlande et la Russie, jusqu'au cercle polaire. En hiver, elle est totalement absente d'Europe, et se répartit alors dans la zone forestière d'Afrique tropicale, de la Guinée à l'Angola, en passant par le Cameroun et le Congo ; elle est beaucoup plus rare en Afrique orientale [2]. La Bondrée se reproduit dans la majeure partie de la France, excepté le bassin méditerranéen et la Corse ; elle est plus rare dans les régions côtières, et niche en montagne jusqu'à 1500 mètres au moins.
Biologie
Ecologie
La Bondrée semble préférer la présence alternée de massifs boisés et de prairies. Elle évite les zones de grande culture, mais occupe aussi bien le bocage que les grands massifs forestiers, résineux ou feuillus. Pour se nourrir, elle explore les terrains découverts et semi-boisés : lisières, coupes, clairières, marais, friches, forêts claires, prés et cultures. La présence de zones humides, de cours d'eau ou de plans d'eau est fréquente sur son territoire. En hiver, elle occupe les forêts tropicales, où elle mène une existence discrète.
Comportements
C'est un grand migrateur, qui arrive en Europe tardivement et repart précocement, si bien que son séjour chez nous ne dure que quatre mois, ne lui laissant que le temps nécessaire pour nicher. Elle passe la plus grande partie de son existence en Afrique. Quelques rares bondrées sont de retour en France dès avril, mais c'est en mai que culmine le passage migratoire, généralement entre le 10 et le 20 mai ; ce passage se prolonge encore début juin. La migration inverse commence dès le mois d'août, pour atteindre son maximum en septembre. Seuls quelques individus sont encore observés en octobre, essentiellement des jeunes.
La Bondrée est nettement grégaire lors de ses migrations, avec de fortes concentrations près des détroits et des cols, mais elle peut également voyager seule, et peut survoler les mers ou les océans, aussi bien que les déserts [bg1]. En dehors des périodes migratoires, c'est un oiseau discret, et elle passe facilement inaperçue lors de son court séjour estival. Elle vit alors en couples disséminés. La période des parades, où les deux adultes se livrent à des jeux aériens à proximité de l'aire, intervient juste après le retour de migration : elle ne dure pas longtemps, mais reprend en juillet pendant l’élevage des jeunes. Cette espèce est strictement diurne.
Reproduction et dynamique de population
La Bondrée apivore est monogame. Les couples, fidèles pour la vie, semblent déjà formés dès le retour de migration, et la reproduction commence aussitôt, avec les parades aériennes et la construction du nid. Les deux adultes défendent un territoire de 10 km² en moyenne (maximum 20, minimum 2 ou 3 km²). La nidification a lieu dans de grands arbres, rarement en dessous de neuf mètres, aussi bien en pleine forêt qu'en lisière, dans un boqueteau ou dans une haie. Les bondrées aménagent généralement un ancien nid de rapace ou de corvidé ou une aire des années précédentes, en apportant des branches et surtout une grande quantité de rameaux verts. Le nid est de dimensions moyennes (diamètre 65 à 80 cm, épaisseur 30 cm), et la verdure est renouvelée tout au long de la reproduction. La ponte, en juin ou juillet selon les régions, est presque toujours de deux oeufs (extrêmes un à trois), richement colorés.
L'incubation est assurée par les deux partenaires, dès la ponte du premier oeuf, et dure en moyenne 35 jours. Le premier vol des jeunes se situe à l'âge de 40 jours, mais ceux-ci retournent au nid pour y recevoir leur nourriture pendant deux semaines encore. A huit semaines, c'est-à-dire en août ou début septembre, ils quittent les environs de l'aire, et la migration suit aussitôt, sans délai apparent. En cas de perte de la nichée, une ponte de remplacement est possible, mais peu commune [bg7].
Les études sur la biologie de reproduction et sur la dynamique de population de la Bondrée sont rares et fragmentaires. En forêt de Tronçais, des taux d'échec des nichées de 19% à 42% ont été relevés, donnant un nombre de jeunes à l'envol de 0,85 à 1,2 par couple ayant pondu [bg66]. On admet que la Bondrée peut se reproduire dés la fin de sa première année, mais des individus isolés, sans doute âgés d'un an, séjournent dans des régions où l'espèce ne niche pas. Le taux de survie lors des migrations et en hivernage est inconnu. La longévité maximale observée grâce aux données de baguage est d’environ 29 ans [bg59].
Régime alimentaire
C'est la particularité la plus singulière de ce rapace: la Bondrée a en effet un régime alimentaire extrêmement spécialisé, constitué principalement d'insectes, et plus précisément d'hyménoptères. Lors de son séjour estival en Europe, il s'agit surtout de guêpes, mais aussi de bourdons, dont les nids sont soit enterrés, soit situés à l'air libre. Lors de son arrivée en mai, et durant les périodes froides ou pluvieuses, la Bondrée doit compléter ce régime avec d'autres proies : autres insectes (coléoptères, orthoptères, fourmis, chenilles), araignées, lombrics, amphibiens, reptiles, micromammifères, jeunes oiseaux au nid. A la fin de l'été, elle mange aussi des fruits et des baies. La Bondrée repère les nids de guêpes ou de bourdons en épiant le va-et-vient des insectes, soit à l'affût sur un arbre ou un monticule, soit en volant à faible hauteur, soit à terre, en marchant. Lorsqu'elle a repéré une colonie souterraine, elle creuse avec son bec et surtout ses pattes, jusqu'à déterrer complètement le nid, indifférente à la nuée d'insectes furieux qui la harcèlent. Malgré ses adaptations morphologiques (petites plumes écailleuses de la face, fente étroite des narines), elle doit sans doute se faire piquer fréquemment, ce qui suppose une certaine immunité à l'égard du venin. La Bondrée consomme des insectes adultes, mais ce sont surtout les oeufs, larves et nymphes, logés dans leurs cellules, qui l'intéressent, et dont elle nourrit ses jeunes. Les nids aériens d'hyménoptères, fixés aux branches ou aux herbes, sont plus faciles à prendre. Malgré le terme d'apivore, les bondrées consomment rarement des abeilles et ne s'en prennent pas aux ruchers, où le couvain est d'ailleurs inaccessible pour elles. Elles n'ont donc aucune incidence sur les activités humaines.
Etat des populations et tendances d'évolution des effectifs
L'estimation des populations de bondrées en période de reproduction est difficile, car elles reviennent de migration après la pousse des feuilles des arbres, et mènent une existence discrète. Quelques études précises montrent que la sous-estimation peut être très forte [1]. BIRDLIFE INTERNATIONAL [bg2] estime les effectifs européens à plus de 110 000 couples et juge sont statut de conservation favorable. Bien qu'une raréfaction de l'espèce soit observée dans certains pays, celle-ci paraît stable dans l'ensemble, avec de fortes variations numériques, en relation avec les conditions météorologiques au début de la nidification. Cette stabilité est confirmée par les dénombrements annuels des principaux sites d'observation de la migration. En France, la récente enquête sur les rapaces nicheurs de France permet d'estimer la population de bondrées à 11 000-15 000 couples, soit plus du quart de la population totale d'Europe de l'Ouest.
La tendance d'évolution des effectifs en France est difficile à apprécier, faute d'enquête analogue antérieure, mais la répartition géographique a peu évolué au cours des dernières décennies, avec peut-être une légère progression vers l'ouest et vers le sud [3]. Plus récemment et dans le Gard, l’espèce a nettement progressé vers les plaines et le littoral entre l’atlas 1985-1993 et l’enquête Rapaces 2000-2005 (CO Gard). La densité des couples dans les secteurs les mieux connus apparaît stable [4]. Par ailleurs, les passages dans les cols pyrénéens, tout particulièrement Organbidexka, où la population française représente une grande part des effectifs, indiquent une stabilité depuis 1981.
Menaces potentielles
La Bondrée apivore ne semble pas avoir connu de régression de ses effectifs aussi importante que les autres rapaces. Sans doute son statut de migrateur, arrivant tard en Europe et repartant tôt vers l'Afrique, et sa discrétion, l'ont-ils mise à l'abri des tirs des chasseurs de rapaces avant sa protection, et des destructions illégales ensuite. En période de migration, des tirs ont toujours lieu dans certains pays qu'elle traverse : Italie, Liban, Malte. La diminution des insectes du fait des insecticides pourrait avoir des conséquences à long terme sur la Bondrée. Enfin, elle est sensible à la destruction de son habitat (disparition du bocage).
Propositions de gestion
La conservation de la Bondrée n'implique pas de mesures de gestion draconiennes. Il convient simplement d'être vigilant sur certains points :
· éviter la disparition du bocage et des haies vives,
· maintenir ou favoriser les clairières, les friches, les mares et les marais en bon état de conservation,
· conserver des mosaïques paysagères, alternance de milieux ouverts et de milieux forestiers, éviter les plantations monospécifiques denses, tout particulièrement de résineux par une diversification des essences et l’enrichissement des peuplements, notamment par la création d’îlots de feuillus,
· maintenir des forêts claires, en évitant les exploitations de printemps et d'été, et en gardant une proportion suffisante de futaie âgée,
· éviter les travaux forestiers entre le 1er mai et le 1er septembre autour du site de nidification [5],
· traiter tous les points dangereux sur les lignes électriques aériennes dans un rayon de 1 km autour de l'aire [5],
· éviter l’usage des pesticides en favorisant la signature de contrats spécifiques avec les exploitants.
Etudes et recherches à développer
Bien que la Bondrée soit en France un rapace relativement répandu, peu d'études lui ont été consacrées, sans doute du fait de ses moeurs discrètes, et il n'existe aucune monographie récente. Des données concernant sa distribution, sa densité et sa reproduction ont été collectées à l'occasion d'études portant en général sur tous les rapaces diurnes (T. NORE en Limousin, Y. HOUILLON en Franche-Comté, réalisation d'atlas régionaux ou départementaux). Il reste beaucoup à apprendre sur cette espèce, tant au niveau de la densité des couples reproducteurs, que des causes expliquant son absence de certaines régions où ses proies sont pourtant abondantes, et de sa dynamique de population (biologie de reproduction, mortalité au cours des migrations, longévité, écologie sur les lieux d'hivernage).
Bibliographie
1. GENSBOL, B. (1988).- Guide des rapaces diurnes. Europe, Afrique du Nord et Proche Orient. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel (Suisse), Paris. 384 p.
2. GEROUDET, P. (1978).- Les rapaces diurnes et nocturnes d'Europe. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel (Suisse), Paris. 426 p.
3. KERAUTRET, L. (1972).- La Bondrée apivore dans le Nord de la France. Statut actuel et indications de recherche. Le Héron 2: 38-40.
4. NORE, T. (1979).- Rapaces diurnes communs en Limousin pendant la période de nidification (Buse, Bondrée, Milan noir, Busards Saint-Martin et cendré). Alauda 47: 183-194.
5. SEPOL (2006).- L'avifaune de l'annexe I de la Directive "Oiseaux" présente dans la zone de protection spéciale "Plateau de Millevaches". 34 p.
Source : Cahiers d'Habitats "Oiseaux", sous presse, La Documentation française