De par leur position dans le réseau trophique, les rapaces intègrent les variations de leur environnement et sont souvent considérés comme de bons indicateurs de l'état de la biodiversité. A la suite de l’enquête nationale Rapaces nicheurs de France (2000-2002), qui avait pour but de cartographier les populations de rapaces et d’évaluer leur abondance, un suivi annuel a été mis en place dès 2005 par le Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC) et la LPO Mission rapaces.
Ce suivi annuel permet d’estimer les tendances de population (augmentation, diminution, stabilité) pour plusieurs espèces de rapaces se reproduisant sur notre territoire, notamment les plus communes, qui ne font pas l’objet de suivis spécifiques. Pour cela, plusieurs centaines de bénévoles recueillent, chaque année, des données relatives à l’abondance de ces rapaces par des comptages du nombre de couples présents sur des carrés de 25 km². Une centaine de carrés est ainsi proposée chaque année et au total 576 carrés ont pu être échantillonnés entre 2005 et 2012. En combinant les données de 2005 à 2012 avec celles de l’enquête nationale de 2000-2002, ce sont 1848 carrés (dont 1367 carrés distincts) qui ont été étudiés.
Ces données, uniques au monde à notre connaissance, sont néanmoins difficiles à analyser et nécessitent de faire appel à des méthodes statistiques complexes pour être exploitées de manière adéquate. Les différentes méthodes susceptibles de convenir pour l’analyse de ces données ont été explorées au cours d'une thèse de doctorat qui s'est achevée en décembre 2013 au CEBC. Cette thèse a permis de mettre au point des méthodes statistiques opérationnelles en vue de fournir des estimations plus précises de la répartition des rapaces diurnes en France (notamment en intégrant des données environnementales dans les calculs), de la taille des populations, mais aussi de leurs tendances. Les travaux issus de cette thèse sont en cours de publication dans des revues scientifiques, mais nous pouvons d’ores et déjà présenter ici quelques résultats.
Les méthodes mises au point permettent notamment de déterminer quel modèle statistique explique le mieux les données, et par la suite de fournir un intervalle de confiance fiable, qui quantifie la précision des estimations. Nous pouvons ainsi fournir pour chaque espèce :
- une cartographie de l'abondance estimée sur le territoire nationale (par pixel de 25 km²) qui tient compte des différentes caractéristiques de l’habitat (du climat et de l’occupation du sol) susceptibles d’impacter la densité de couples observés (Figure 1),
- un nombre de couples estimé sur toute la France (Tableau 1),
- un taux de croissance annuel de la population par rapport à l’année 2000 (année de référence, Figure 2),
- la tendance annuelle globale sur la période d'étude (Figure 3), indiquant si la population peut être considérée en augmentation, stable ou en régression sur cette période.
Tableau 1 : Nombre estimé de couples territoriaux par espèce sur toute la France pour l'année 2000, avec intervalle de confiance à 95%.
Espèce
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Nombre estimé de couples territoriaux
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Limite inférieure
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Moyenne
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Limite supérieure
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Buse variable
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149 000
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159 200
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170 400
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Faucon crécerelle
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101 900
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108 500
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115 700
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Epervier d’Europe
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43 100
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47 100
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51 500
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Milan noir
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25 700
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30 400
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36 200
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Bondrée apivore
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19 300
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22 000
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25 100
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Busard Saint-Martin
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13 700
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15 800
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21 800
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Faucon hobereau
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11 700
|
13 400
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15 700
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Autour des palombes
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7 100
|
8 600
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10 400
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Busard cendré
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5 600
|
7 100
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9 100
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Milan royal
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3 500
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5 000
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7 300
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Circaète Jean-le-Blanc
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3 300
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4 400
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5 800
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Busard des roseaux
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2 900
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4 100
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6 500
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Figure 1 : Carte de l'abondance relative (Couples par 25 km²) estimée pour la Buse variable pour l'année 2000 (carte de droite).
Figure 2 : Evolution de la croissance apparente annuelle de la population de la Buse variable entre 2000 (en référence) et 2012, avec intervalle de confiance à 95%. Les couleurs indiquent un taux significativement différent de zéro (vert : augmentation, orange : diminution).
Figure 3 : Taux de croissance annuel pour chaque espèce sur la période 2000-2012, avec intervalle de confiance à 95%. Les couleurs indiquent un taux significativement différent de zéro (vert : augmentation, orange : diminution).
Les résultats montrent des tendances significatives pour quatre espèces de rapaces (une qui diminue et trois qui augmentent). Néanmoins, il existe des fluctuations importantes dans les effectifs nicheurs entre année (voir l’exemple de la Buse variable, Figure 2), ce qui pourrait masquer les tendances pour d’autres espèces. Le Faucon crécerelle est la seule espèce où un déclin est avéré significatif entre 2000 et 2012. Elle reste cependant encore la deuxième espèce de rapace diurne la plus abondante en France (voir Tableau 1), mais pour combien de temps encore ?
Les populations de rapaces sont complexes à étudier et on remarque que leurs tendances ne sont pas linéaires. Il faut donc rester prudent quant à l’interprétation de ces résultats qui concernent un laps de temps encore trop court pour conclure de manière objective sur l’état des populations de rapaces en France. Cela confirme tout l'intérêt de l'Observatoire Rapaces et de poursuivre ce suivi sur le long terme, année après année, pour documenter les fluctuations observées et les traduire en besoin de protection.
Par Kévin Le Rest, David Pinaud & Vincent Bretagnolle (Centres d'Etudes Biologiques de Chizé, CNRS), avec l’aide de Laurent Lavarec (LPO Mission Rapaces).
Source : L'OISEAU magazine n°114 - Printemps 2014.