A la suite de l’enquête nationale Rapaces nicheurs de France (2000-2002), un suivi annuel des populations de rapaces a été mis en place dès 2005 par le Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC-CNRS/ULR) et la LPO Mission Rapaces. Le but de ce suivi est d’estimer les tendances de population (augmentation, diminution ou stabilité) des différentes espèces de rapaces diurnes nichant sur notre territoire, et notamment les plus communes, à la fois les plus difficiles à suivre et ne faisant pas l’objet de suivis spécifiques et détaillés. Cet observatoire révèle notamment un déclin du faucon crécerelle...et du taux de participation !
Rappels sur l’observatoire rapaces
Plusieurs centaines de bénévoles relèvent chaque année le nombre de couples présents sur des carrés de 25 km². Une centaine de carrés (ce qui représente 0,5% du territoire national !) est ainsi « programmé » chaque année par tirage au sort. Des outils d'analyses performants, intégrant notamment des données environnementales dans les calculs, ont été développés au cours d'une thèse de doctorat (Kévin Le Rest, Université de Poitiers 2013) et permettent d’estimer les tendances de manière fiables. Ce travail a montré que l'observatoire Rapaces permet de déterminer les tendances des populations pour la plupart des espèces et ainsi de mieux statuer sur l'état de ces populations en France. Les tendances des espèces les moins communes sont néanmoins plus difficiles à évaluer en raison du faible nombre de carrés suivis. Il est donc plus pertinent de se référer aux suivis spécifiques pour ces dernières, du moins lorsqu’ils existent.
Une diminution sensible de l’effort d’échantillonnage…
Au total, en combinant les données de 2005 à 2014 avec celles de l’enquête nationale de 2000-2002, 1980 carrés ont été prospectés sur la période 2000 – 2014 (1388 carrés différents, voir Fig. 1). La tendance du nombre de carrés prospectés est néanmoins nettement à la baisse depuis 2011 (Fig. 2). Les années 2008 – 2011 ont vu une période optimale avec un "rythme de croisière" de presque 100 carrés prospecté par an. Mais en 2014, seulement 56 carrés ont été prospectés sur toute la France (Fig.3), ce qui pourrait compromettre l’avenir de l’observatoire rapaces. En effet, la puissance et la robustesse des estimations reposent sur un nombre suffisant de carrés réalisés chaque année.
A l’heure où non seulement la protection intégrale des rapaces est remise en question (comme celle des prédateurs de manière générale), et où les tendances de certaines populations sont clairement à la baisse (busards par exemple), les suivis à long termes tels que ceux fournis par l’Observatoire Rapace sont plus que jamais indispensables, car les seuls qui permettent d’estimer des tendances de population de manière fiable. Il est donc absolument capital de maintenir cet effort bénévole et collectif.
Figure 1 : Répartition de tous les carrés échantillonnés pour la période 2000 - 2014 lors de l'Observatoire Rapaces et nombre d'années de suivis par carré.
Figure 2 : Nombre de carrés échantillonnés chaque année lors de l'Observatoire Rapaces.
Figure 3 : Répartition des 56 carrés échantillonnés en 2014 lors de l'Observatoire Rapaces et nombre d'espèces détectées par carré.
Focus sur le Faucon crécerelle
Des analyses précédentes avaient montré des disparités entre espèces, avec notamment des tendances négatives pour certaines. C'était le cas pour le Faucon crécerelle, malgré son statut de deuxième espèce la plus abondante en France derrière la Buse variable. Nous présentons ici les résultats actualisés 2014 pour ce faucon.
L’observatoire Rapaces permet d’estimer la répartition, l’effectif et la tendance de population au fil des années pour chaque espèce. Ainsi, pour le faucon crécerelle nous présentons les résultats du suivi 2014 avec :
- une cartographie de l'abondance estimée sur le territoire national (par pixel de 25 km²) qui tient compte des différentes caractéristiques de l’habitat (du climat et de l’occupation du sol) susceptibles d’impacter la densité de couples observés ;
- un nombre de couples estimé sur toute la France ;
- un taux de croissance annuel de la population par rapport à l’année 2000 (année de référence) ;
- la tendance annuelle globale sur la période d'étude (2000-2014), indiquant si la population peut être considérée en augmentation, stable ou en régression sur la période considérée.
Les indices d'abondance relative montrent une variation interannuelle très forte (Fig. 4), ce qui est connu chez les espèces de prédateurs dépendantes des petits rongeurs, comme le Faucon crécerelle. Cependant, ces fluctuations observées reflètent aussi les variations importantes dans la détection des couples nicheurs par les observateurs, qui peut être plus ou moins bonne d’une année à l’autre.
Figure 4 : Tendance relative des populations de Faucon crécerelle (référence année 2000). Les barres verticales indiquent l'intervalle de confiance à 95 % de l'estimation et la ligne rouge la tendance linéaire sur la période (-0.7 % par an).
La population nicheuse de Faucon crécerelle estimée en France en 2014 est de l'ordre de 97 250 couples (fourchette 90 800 – 104 500, Tab. 1). La carte de distribution (Fig. 5) montre de fortes densités dans l'Ouest de la France, le couloir rhodanien et l'Alsace.
Tableau 1 : Taille de population et tendance de population du Faucon crécerelle 2000-2014. Une tendance relative annuelle inférieure à 100% indique une diminution des effectifs.
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Moyenne
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Intervalle de confiance
à 95%
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Taille de population estimée en 2014
(nombre de couples)
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97 250
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90 800 – 104 500
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Tendance relative annuelle
(base 100%, année 2000)
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99.32
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98.71 – 99.94
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Figure 5 : distribution des densités estimées de Faucon crécerelle en 2014 (nombre de couples observés par carré de 25 km²).
Si on compare les estimations faites pour les années 2000 (108 500 couples, Oiseau Magazine n°114), ce serait une différence de plus de 11 000 couples. Ceci va dans le même sens que la tendance annuelle estimée (significativement négative), indiquant un recul de la population de l'ordre de près de 0.7 % par an (Tab. 1 et Fig. 4), soit en cumulé une chute de près de 10 % en 14 ans de suivi. Ces chiffres sont en accord avec la situation décrite par le programme STOC-Vigie-Nature (-16% depuis 2001, Museum d'Histoire Naturelle), au Royaume-Uni (-15 à -27% pour 2002-2012, British Trust for Ornithology) ou en Hollande (presque -40 % depuis 2000, Sovon/Dutch Centre for Field Ornithology). Il faut néanmoins toujours rester prudent car le nombre de carrés suivis ces dernières années est en deçà du nombre optimal (une centaine), ce qui limite la précision des résultats.
Cette étude sur le Faucon crécerelle montre tout l'intérêt de l'Observatoire Rapaces et de poursuivre ce suivi sur le long terme, pour documenter de manière précise les fluctuations d’effectif des populations nicheuses, véritables sentinelles de l'environnement, et de les traduire en besoin de protection. Faute de quoi les alertes lancées ne seront que locales, et perdront de fait en puissance : il est impératif que le réseau des observateurs bénévoles s’engagent à faire plus de carrés dans les années à venir !
Par David Pinaud, Kévin Le Rest et Vincent Bretagnolle (Centre d'Etudes Biologiques de Chizé,CNRS / Univ. La Rochelle), avec l'aide de Laurent Lavarec (LPO Mission Rapaces).
Source : Rapaces de France - L'OISEAU magazine - hors-série n°17 - 2015.
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